"Psychose " d’Alfred Hitchcock

Une douche. Un meurtre. Et Psychose devient l’empreinte d’un cri sur la pellicule ; grondement qui submerge comme un choc dans le crâne du spectateur. Hitchcock tient là sa séquence-clef du film, devenue mythique depuis et trace lors d’une seule scène les contours d’un projet pleinement abouti : faire du quotidien ambiant un objet fantomatique. Une psychose.Adapté d’un roman de R.Bloch, Psychose revêt nettement moins l’étiquette de « film noir » qu’un délire psychanalytique, novateur dans le registre de l’angoisse. A mi-chemin entre songe étrange et réalité ordinaire, le réalisateur british ou « l’homme qui en savait trop » s’aventure ici dans les dédales cauchemardesques de l’esprit humain. Ses tortures surtout. Au mieux ses psychoses.

La trame narrative (en deux mots : une voyageuse inquiétante, un pervers sexuel et un drame criminel) fondée sur une construction rigoureuse du scénario, est exceptionnellement mise en exergue, au profit d’une habile mise en scène, d’un montage réalisé tout en finesse (les images défilent et le regard qui s’y perd oublie presque les coupures), où chaque nouveau plan est prétexte à réflexion. L’art du maître préfère s’exercer ici à la notion de culpabilité. L’angoisse d’être traqué, l’obsession qui ronge. Le mal-être de Janet Leigh devient dévorant et l’intérêt du regard, toujours ciblé et précis minimalise l’émotion au plus poignant. On sent presque la caméra comme une bête curieuse : l’objectif qui tente de percer les labyrinthes de la pensée. Une exploration intense et profonde dans les débordements inconscients, sous un flot de lumière à la fois froid et subtil. Si l’ambiance étouffante et viscérale ne se résume pas au simple suspense, c’est que le génie a su puisé dans la banalité une noirceur subjuguée de l’âme.

La thématique hitchcockienne se révèle en effet formidable intrigue au détour de délires psychotiques : tels que la paranoïa, la schizophrénie, … Un hommage quasi-évident aux théories freudiennes que ce traité des troubles du comportement, où ici encore, l’image de la mère et les pulsions refoulées s’interprètent divinement. Le caractère obsédant du bourreau, en proie à une folie démoniaque coagule parfaitement dans le jeu de l’acteur (Anthony Perkins suggère habilement l’innocence enfantine : le choix d’un visage pâle et jeune contraste avec l’idée d’un tueur aliéné).

Réside là l’originalité du réalisateur : capter dans l’esthétique un manichéisme sensationnel : sagesse/démence, calme/bouleversement, épuré/encombrant, noir/blanc… Un grand film, à vrai dire, où le talent signe minutieusement sa touche finale lorsque la nudité, presque rare réduit l’image du sexe omniprésent. La crise émotionnelle suit en fin de compte une progression logique, presque invisible et la pupille vacille, de temps à autre. Comme un traumatisme. Une élégie de nos troubles. Un frisson imprégné dans la chair, qui tient au corps. Au cœur. Préférez-le, bien accroché…

Dorothy Malherbe le 2002-08-20