" La passion du christ " de Mel Gibson

Gibson chez les Apôtres. Aucun générique. Juste un extrait biblique mis en exergue. Une nuit de pleine Lune et l’on est baigné dans un halo de lumière des plus troublants. Les premières secondes du film sont particulièrement admirables. Gibson malaxe l’image avant de virer au cauchemar. Car il faut bien l’avouer: La Passion du Christ est un film d’ « horreurs ». Contant les 12 dernières heures de la vie de Jésus, l’acteur-réalisateur choisit de filmer mot pour mot (et voire plus…) ce qui est écrit dans le Nouveau Testament. Mais pas à la manière d’un doc. sur Arte. Plutôt comme une fresque vivante auquel (étrangement) le spectateur est réticent. Parce qu’on aura rarement été aussi proche du malaise, du stress, de l’insoutenable. Les flots d’hémoglobine déversés sur la pellicule n’y sont pas pour rien… Violence complaisante, souffrance glorifiée; Mel n’épargne pas ce pauvre bellâtre barbu dont le supplice devient quasiment défi lancé aux amateurs d’auto-flagellation. La crucifixion dépasse largement la dose prescrite d’invraisemblances, montrant à souhait un Jésus surhumain dont le corps sanguinolent n’arrête point la parole (rappel: c’est le Christ…). L’interminable torture est un tantinet exagérée et finit par faire de cette fiction divine un nouvel opus dans le genre gore. Notons que c’est d’ailleurs moins cette violence dégoulinante que la fameuse rumeur d’antisémitisme (c’est décidément la mode d’en voir partout) qui fait couler beaucoup d’encre. Que ceux qui alimentent le scandale aillent relire les chapitres 26 et 27 de Mathieu, 14 et 15 de Marc, 22 et 23 de Luc, 18 et 19 de Jean. Force est de constater que le film n’est pas plus antisémite que le texte sur lequel il s’appuie. N’en déplaise aux détracteurs… Relativité oblige, Mel Gibson maîtrise impeccablement sa technique. Cadrages au cordeau, jeu sur la longueur/lenteur des scènes, … Le casting illustre la semi-réussite de l’entreprise (clin d’œil à Marie Morgenstern pour sa composition bouleversante). Monica Bellucci, grimée en Marie Madeleine, est bien moins sexy qu’à ses habitudes. Quant à Jim Caviezel, il remporte haut la main la palme d’interprétation pour avoir donné chair à l’icône glacée des missels (alias Jésus Christ); rôle qui fait passer avec maestria un scénario un peu maigrichon. Cependant si la force visuelle des scènes est un électrochoc, le gros travail sur la bande son mérite quelques applaudissements (mention au bruit du clou planté dans la chair, enfin bref passons…). Il est un rien jubilatoire de savoir qu’un metteur en scène de la trempe de Gibson peut se permettre d’être réac. sur un sujet aussi délicat que la religion. Il semblerait que la Commission (de classification des œuvres) soit moins indulgente en matière de viol et de meurtre (via le scandale d’Irréversible) et pourtant… Serait-elle plus tolérante à cause du caractère pédagogique du film? Cela dit, même pour illustrer ses leçons de catéchisme, on doute qu’un gamin de 12 ans sorte indemne de la salle. A moins d’être sous Prozac et encore… N’empêche, on regrette le manque de spiritualité du film (euphémisme), de pureté, de symbolisme. Dénué de tout lyrisme, il perd sa crédibilité et l’on frôle de temps à autre le hors-sujet. Faut-il nécessairement du cru, du brut, du vif à tendance sanguinaire pour brasser des millions de dollars de recettes? Une chose est sûre, la belle Monica avait raison: « Irréversible, c’est Bambi à côté ». Pour ceux qui veulent se ruer par curiosité (ou masochisme?) dans les salles obscures, y’a les boules Quies ou mieux, le Tranxène à haute dose.
Dorothy Malherbe le 2002-04-20