" Kill Bill " de Quentin Tarantino

Ah , la musique chez Tarantino !! c’est un univers à part entière . Lui même déclare qu’il ne « commence jamais l’écriture d’un scénario tant qu’[il n’a] pas la chanson du générique , c’est elle qui donne le ton. » Dans ce premier volume de Kill Bill , c’est Bang Bang la chanson interprétée par Nancy Sinatra –reprise de Sonny et Cher- qui commence à nous hanter dès le générique , très sobre : écritures blanches sur fond noir. De même dans cette déjà culte scène du jardin japonais , témoin de la lutte acharnée entre La Mariée (Uma Thurman) et O-ren Ishii (Lucy Liu) , dans laquelle on entend d’abord une musique flamenco (guitare sèche et « clap-clap ») , et le bruit de leurs armes s’entrechoquant ; puis un dialogue -en japonais s’il vous plaît- entre les deux , qui voit finalement Thurman scalper Liu , silhouette blanche tombant à genoux dans la neige. Car oui , le dernier film de Quentin Tarantino est bien un pur film d’action –avec une grande liberté narrative- hommage au cinéma japonais du même genre que chérit particulièrement le réalisateur. Mais le film ne s’arrête pas là pour les références : western spaghetti , kung-fu mais aussi un segment entier du film réalisé en manga , et un clin d’œil au grand Bruce Lee ,avec la combinaison jaune de Thurman lors de la bataille de la Villa Bleue , exacte réplique de celle portée par l’acteur dans son dernier film Le jeu de la mort. Après Reservoir Dogs en 1992 , Pulp Fiction (Palme d’or du festival de Cannes en 1994, film avec un remarquable jeu sur la temporalité) et Jackie Brown en 97 , Tarantino réalise avec son quatrième film Kill Bill vol.1 une œuvre magnifique maîtrisée de bout en bout. C’est un véritable défi qui est lancé au cinéma , avec cette œuvre très travaillée. Thurman est une muse pour Tarantino (elle jouait déjà dans Pulp Fiction) qui filme son actrice fétiche de manière sublime , nous permettant d’accéder à la vision quasi-amoureuse qu’il a d ‘elle . Il a écrit le rôle pour elle et on ressent la minutie requise pour l’entreprise , qui commença sur le tournage de Pulp Fiction avec 8 pages de script. Tarantino a pris son temps , s’est enfermé chez lui ces dernières années , organisant des projections de 3 ou 4 films par jour . Il ne vient donc pas comme un simple amateur avec son film sous le bras , mais avant tout comme un amoureux du cinéma , qui désire là-encore nous transmettre cet amour . « La vengeance n’est pas une ligne droite . C’est une forêt et on peut facilement s’y égarer » Voilà le conseil que La Mariée reçoit d’un ancien maître , formateur de redoutables guerriers comme Bill , Hattori Hanzo, (Sonny Chiba), qui lui confectionne le sabre lui servant à se venger du gang des Vipères Assassines. Retour en arrière : quatre ans plus tôt , Black Mamba , tueuse à gages rangée des voitures , se marie. Mais c’est sans compter sur ses ex-partenaires de l’Escadron international des Vipères Assassines , qui font irruption lors de la cérémonie et repartent en laissant les cadavres des 9 convives derrière eux dont celui de ladite mariée , enceinte . Laquelle se réveille en fait après quatre ans de coma profond , avec comme seul but de se venger du massacre auquel elle a miraculeusement échappé (malgré une balle reçue en pleine tête). Dès le réveil de La Mariée (on ne connaîtra à aucun moment le nom du personnage joué par Uma Thurman , les deux seules allusions qui y sont faites étant sanctionnées par un bip sonore) , Tarantino nous distille son humour décalé et provocateur. Cette première commence par faire la peau au misérable prêtre qui profitait de son coma pour assouvir certaines pulsions , ainsi qu’à un de ces violeurs. Puis , on nous offre une séquence de pur bonheur : La Mariée , paralysée aux jambes , retrouve petit à petit ses complètes capacités physiques –en 13 heures , c’est écrit sur l’écran- en commençant avec l’ordre donné à son gros orteil droit de bouger (on notera au passage que miss Thurman est dotée d’orteils tout à fait originaux). A partir de là tout s’enchaîne : elle va éliminer un à un les quatre membres de Vipères Assassines dont elle a pris le soin de noter les noms sur son cahier d’écolière : O-ren Ishii (Lucy Liu , formidable en chef de la mafia japonaise , impitoyable tueuse derrière le masque de jolie poupée) , Vernita Green (Vivica A. Fox, tueuse maniant l’arme blanche comme personne , désormais mère de famille rangée) , Elle Driver (Daryl Hannah , femme borgne cruelle qui n’apparaît que peu dans ce premier volume) et enfin le fameux Bill (David Carradine , chef du Détachement des Vipères Assassines , dont on n’aperçoit que les mains et les yeux) qu’elle se garde pour la fin. Tarantino nous livre ici un film impeccablement filmé et ficelé , en passe de devenir culte quelques temps seulement après sa sortie en salle. On salue le jeu d’Uma Thurman , qui sait nous émouvoir , particulièrement dans la scène poignante de son réveil à l’hôpital , où elle se rend compte qu’elle n’a plus son bébé. Les deux heures du film ne se font nullement sentir et la surprise finale ne fait qu’aiguiser encore plus notre envie de voir le second volume , pour connaître le sort réservé à Bill . On l’attend , avec une confiance aveugle , au moins aussi bon que ce premier opus.
Lucie Mérijeau le 2004-02-20