" Confidences trop intimes " de Patrice Leconte

Se tromper de porte, c’est peut-être aussi en ouvrir une? Du moins, c’est ce que semble vouloir dire la morale du dernier film de Patrice Leconte. Quatorze ans après le sublime Mari de la coiffeuse, il prospère dans l’art d’évoquer l’intimisme et nous offre ses "Confidences trop intimes". Mettez surtout l’accent sur le côté "trop intime" justement et non sur le simple fait de se confier. Car c’est bien là que réside le problème. C‘est en se trompant de porte qu’Anna (Sandrine Bonnaire) va confier ses déboires conjugaux non pas au psychiatre (Michel Duchaussoy) , mais au conseiller fiscal (Fabrice Luchini), habitant juste à côté. Sacré hasard que le bonhomme soit justement confiné dans un 10 m² sombre et poussiéreux, étouffé sous le poids des bouquins: bref, typique d‘un cabinet de psy. . Le décor en effet , renforce le quiproquo et commence alors la véritable intrigue. De fil en aiguille, de rendez-vous en rendez-vous, Anna va se dévoiler, tant sur le plan spirituel que sur le plan vestimentaire (les beaux jours qui arrivent, sans doute…) , avec une crudité singulière. Les fantasmes d’une femme, cela irrite l’oreille d’un homme semble t-il. Et Luchini joue à merveille cet homme gêné par l’intimité, confiné dans le secret et le malaise (dans son costard, accessoirement…). Jusqu’au désir de savoir, qu’il réprime. Cet espèce de regard curieux sur autrui, nécessaire au mouvement de sa propre existence. Leconte lui, fait du récit un délicat traité de l’intimité et la pellicule elle, n’est plus seulement un support de capture. Ainsi, d’une finesse presque invisible, il va s’amuser à rythmer les tensions, nous tenant sans cesse en haleine par un suspense exaltant, qui joue habilement de nos expirations. N’exagérons rien tout de même, il s’agit pas d’un maître du suspense, mais son jeu de champ/contrechamp mérite une attention particulière, quant à l’usage de la profondeur, des perspectives et ces couloirs qui n’en finissent plus. Comme une espèce de dédales où tout est confiné, précis, intériorisé. L’auteur prouve qu’il est de plus en plus à l’aise dans sa maîtrise de la mise en scène. Des mises en abyme rappelant sans cesse l’ enjeu de l’intrigue. Des jeux d’ombre et lumière où l’opacité fait sens d’un refus de « faire lumière sur ». Des miroirs et des images floues pour voir évoluer ses pantins sous de multiples facettes, comme des pantomimes se dévoilant les uns aux autres. Et une nostalgie du passé, de l’évasion qui ne va sans rappeler la madeleine de Proust, même si elle a plutôt ici un sens un peu plus freudien. On sent des personnages chargés d’histoire, qui ont un passé, des douleurs aussi. Des tics et des névroses. Un rapport très difficile envers eux-même jusqu’à ce qu’on aille y mettre le doigt . Jusqu’à ce que chaque personnage pénètre dans l’univers de l’autre. L’identité de chacun semble se fondre singulièrement dans le récit, à tel point, qu’il en ressort un accort intime entre la confusion et la confession. La beauté visuelle rappelle cette tendance à la sensibilité de Leconte, qui cadre au plus près (et avec grâce) son héroïne Sandrine Bonnaire, tendre objet de désir d’un Luchini décidément bon en notable coincé. Outre ses habituelles envolées lyriques , il interprète ici un rôle très individualiste, craquelé par de multiples failles. Et les costumes s’allègent lorsque l’intrigue se dénoue. "Confidences trop intimes" propose le résultat d’un travail passionné et en cela passionnant…
Dorothy Malherbe le 2005-03-20