" Les égarés " de André Téchiné

Juin 1940. Deux mots suffisent à évoquer la débâcle, le début de la fin. Une simple inscription temporelle pour nous renvoyer au drame. Ainsi commence le premier plan des Egarés. La dernière œuvre de Téchiné (sélection officielle de Cannes 2003, rappelons-le !) aborde un nouvel aspect de la guerre, encore jamais exploité, tant sur la durée (environ une quinzaine de jours) que sur la forme (construit comme un journal intime au récit non daté). Il s’agit donc d’un fragment de vie, pris dans le temps, quelque part entre 1939 et 1945, où chacun s’accorde à suivre la même route, le même destin.

On croit alors que le nombre fait la force, qu’en groupe le danger nous évite mais en temps de crise, les certitudes tombent. C’est cette destinée criminelle qui aurait emporté cette mère et ses enfants, si un jeune ado. débrouillard ne les avait pas convaincu de le suivre. Ils vont fuir donc, s’égarer mais vivre.

Le film, c’est cette bulle suspendue hors du temps, où quatre êtres réfugiés tentent de retrouver le calme, la sérénité, le sommeil aussi ; loin des cris, du feu et du sang. Que restait-il d’humain dans cette France éclatée ? Des échanges, du troc, le « chacun pour soi »et un simple verre d’eau qui se vend, s’achète. Loin de cette réalité, les acteurs vont saisir à merveille le jeu, le bien-être restant et les repas enfin nourrissants. Il en découle une présence et une force dramatique imposantes pour le spectateur, tenu en halaine par quelque chose qui frôle parfois l’impossible, l’irréalisable. Mais le film nous pousse à croire pourtant que pour vivre, il faut refuser le cours normal des choses. Pour entendre à nouveau un rire. Pour retrouver un statut, une humanité ; quelques instants volés qui nous rappellent à la vie.

Ainsi, dans le refuge et l’oubli, les corps se réclament, se manquent, s’expriment. Alors naît la confusion, le trouble, le désir de se rassurer par un contact humain. On est toujours un homme, une femme. On est toujours en vie. Et Téchiné continue d’explorer le quotidien des peurs, les idéaux qui changent et cette morale plus vraiment morale.

En portant un regard intimiste sur le vécu de la pression, du relâchement, de l’égarement et du dialogue, il puise dans ses personnages ce que l’on croyait perdu. Même si les doutes surgissent, chacun se perd pour mieux se retrouver. La chute sera brutale, comme le retour à la réalité. Les files d’attente incessantes, la fatigue, la main qui tremble. Cette vérité qui vous explose en pleine face pour annoncer au final, que la guerre vient seulement de commencer…

Dorothy Malherbe le 2003-09-20