" Dogville " de Lars von Trier

Pas de décors. Juste un tracé à la craie sur un sol noir , pour matérialiser les différentes maisons de Dogville , et une voix-off qui nous raconte l’histoire. De cette idée de sobriété totale aurait pu jaillir un exercice filmique très formel et convenu. Bien sûr Dogville est semblable à une pièce de théâtre filmée , mais tous les ingrédients sont réunis pour faire basculer le film au-delà du conventionnel et nous faire assister au déroulement d’un chef d’œuvre ,certes épuré mais transcendant. L’histoire , divisée en huit chapitres précédés d’un prologue (rappelant les actes au théâtre) , nous conte l’arrivée dans les années trente de Grace , une femme bouleversée , dans une bourgade perdue des Rocheuses qu’est Dogville. Tom l’homme qui la recueille va l’imposer aux habitants , qui accepteront sa présence en échange de menus travaux . Lorsqu’ils apprendront que Grace est une fugitive recherchée , leurs demandes ne cesseront de s’accroître , comme un dédommagement du risque pris , mais grand mal leur en prendra … En effet Grace n’est pas que la jeune femme fragile et naïve que l’on croit … Le rôle de Grace a été écrit par Lars Von Trier pour Nicole Kidman , l’actrice souhaitant profondément travailler avec le réalisateur danois. Et ce dernier lui a offert un rôle en or , où elle fait montre d’un renouvellement fascinant , après avoir joué dans l’ Eyes Wide Shut de Kubrick (1999) , l’arriviste du Prête à tout de Gus Van Sant (1995) , la maman psychopathe de l’espagnol Alejandro Amenabar (Les autres , 2001) ou encore une éblouissante libertine dans la comédie musicale de Baz Luhrmann (Moulin rouge , 2001). Dans le huis clos oppressant de Dogville , elle incarne avec force la souffrance et une prétendue crédulité , qui trouvera son explication à la fin du film . Avec son édifiant Breaking the waves , Grand prix du Jury à Cannes en 1996 , qui ébranla le monde traditionnel du cinéma avec ses fameux dogmes (réalisation très épurée visant à une approche extrêmement réaliste de la vie , élimination du superficiel dans la technique) ; Lars Von Trier conférait une vision très personnelle de l’amour qui nous amène à tout accepter , jusqu’à la folie. Dogville permet donc au cinéaste de deviser à nouveau sur les faiblesses humaines et leurs limites , à travers la réflexion philosophique clôturant le film , qui est loin de n’être qu’une simple morale. Dogville lui offre par ailleurs l’occasion d’étoffer ses qualités de réalisateur avec quelques bonnes idées et une maîtrise impeccable de l’atmosphère. Le film est comme une boucle (bouclée par Grace) : les première et dernière séquences sont une plongée parfaitement verticale qui nous fait d’abord nous enfoncer dans les méandres de Dogville , pour finir par nous en éloigner . D’autre part le climat initial qui était léger voire gai devint lourd et pesant au fur et mesure que l’on découvre que la communauté fonctionne en un huis-clos malsain et un sentiment de malaise nous envahit alors. Servis par d’excellents seconds rôles (Paul Bettany , Lauren Bacall) Dogville est un film qui nous dévoile de nouvelles facettes de la palette de comédienne de Nicole Kidman , bouleversante , et asseoit Lars Von Trier comme un grand cinéaste contemporain. A voir absolument.
Lucie Mérijeau le 2004-02-20