" Une vie à t'attendre " de Thierry Klifa

Lorsqu’une première œuvre joue avec la corde sensible, il en résulte un film touchant et lumineux. L’artiste se prénomme Thierry Klifa et comme son ex-confrère de Studio Marc Esposito (Le Cœur des hommes) , il n’a pu résister à cette envie de filmer. L’opus qu’il nous propose est un petit bijou d’ingéniosité. Tant dans sa façon d’aborder l’image: claire, drôle, lyrique… que dans sa manière de raconter une histoire, qui se veut pour le coup bouleversante. Alex, quadragénaire installé (Patrick Bruel, sublime…), tient un restau avec son frère (Mickaël Cohen, révélation convaincante) et sa meilleure amie (Anouk Grinberg). Savourant les plaisirs amoureux d’un bonheur tout tranquille avec Claire (Géraldine Pailhas, sobre mais fragile), il retrouve par hasard Jeanne (Nathalie Baye), son premier amour. Et revoir apparaître dans sa vie celui ou celle qu’on a tant aimé n’est pas chose aisée! On aurait pu tomber très vite dans le pathos, le déjà-vu mais l’auteur nous offre au-delà du cliché facile une sublime réflexion. Car l’intérêt porte sur cette fameuse bataille entre le cœur et la raison. Où les choix s’imposent difficilement . Pourtant, autour d’un récit monté tout en finesse, Klifa explore ce qui paraît à première vue léger, simple et romanesque. En découle une subtile profondeur dans le jeu d’acteurs (mention à Bruel, pour sa remarquable prestation) et une complexité de la narration, maîtrisé de bout en bout. La fluidité des images donnent au film une continuité cohérente et limpide. Et même floues, elles renforcent le trouble, la confusion des personnages. Quant à la mise en scène elle-même, le réalisateur tisse de multiples histoires afin de casser cette espèce de géométrie que formeront duo/trio… et solitude, pour les plus misérables. En créant un climat sobre, épuré mais chaleureux, là où il ne peut y en avoir; la pellicule se gave tout à coup d’un nouveau ton, d’une nouvelle étoffe. Elle prend de l’épaisseur et sa texture se remplit soudain d’émotions: entre rires et déchirements, malaise et passion, douleur et mélancolie. Les seconds rôles participent à l’harmonie du jeu et l’on découvre un Patrick Bruel, bourré de talent, qui a pour le coup, un potentiel énorme à exploiter. Nathalie, quant à elle, se laisse prendre au jeu dangereux des étreintes passionnelles, sans éprouver hélas leur élégance et leur saveur. Bien qu’elle porte dans le film, le prénom des héroïnes dramatiques (Cf Une femme française, Jeanne et le garçon formidable…), son personnage manque terriblement de psychologie, de profondeur. Ce qui n’altère pas la narration qui, rythmée par des va-et-vient et retrouvailles incessantes, trouve toute son énergie. Sa splendeur aussi. Car la beauté même dans la maturité de l’âge (via une Danièle Darrieux singulière) n’est pas vaine. Klifa nous rappelle gentiment nos blessures les plus intimes et cette petite douleur aiguë, qui refait surface, de temps en temps. Comme une mise à nu, un face-à-face avec nos propres expériences . Et même si esthétiquement parlant, l’œuvre est belle, elle met aussi le doigt là où ça fait mal…
Dorothy Malherbe le 2005-03-20